Balade dans les terres (12 – 21 avril), suite


La suite de notre balade aura lieu… sur l’eau ! Celle du fleuve Orénoque. Le Delta de l’Orénoque est l’un des plus grands et des plus mythiques du monde : il s’étend sur plus de 40 000 km², accueille près de 24 000 Indiens Waraos, une flore et une faune très riches. Il est difficile de recenser le nombre exact d’habitants car certains sont nomades et changent de campement lorsque celui-ci pourrit. En effet, habitants ancestraux du delta de l’Orénoque, les Waraos vivent proche de la nature, dans des maisons en bois, posées sur l’eau grâce à des pilotis. Traditionnellement, c’est un peuple de pêcheurs, chasseurs et agriculteurs. Ils ont une connaissance étendue des 300 « caños » (rivières) qui sillonnent le Delta, transmise par tradition orale, de génération en génération. Dans leur philosophie de vie, hommes, animaux et plantes vivent en harmonie, car ce peuple attribue une humanité et une âme à tout ce qui vit. Ils font corps avec le milieu naturel !


Pour partir à la rencontre des Indiens, il faut se rendre dans la ville de Tucupita par exemple, en plein cœur du Delta de l’Orénique. Elle fût fondée par des moines capucins pour évangéliser les Indiens waraos. Dans le Delta, le cours de l’Orénoque se divise en deux grands rameaux : le rio Grande qui coule vers l’est et le caño Manamo qui se dirige vers le nord. C’est sur ce dernier que nous sommes partis en pirogue pour une belle balade dans la nature.
























Le marché de Tucupita : envie d'acheter du poulet chez le boucher ? Son étale est particulièrement odorante et un repère pour mouches !


Peu de choix d’hébergement à Tucupita, nous avons dormi dans l’hôtel simple et propre Amacuro, tenus par des Libanais. Nous y avons rencontré Charbel, le fils du gérant de l’hôtel, qui nous a impressionnés par sa facilité à parler les langues étrangères : arabe, espagnol, anglais, allemand et un français parfait ! Ca fait rêver… Il donne des cours d’anglais et de droit à l’université. Il nous a dit que plus de 100 000 Libanais ont émigré au Vénéz’.
Nous avons aussi rencontré Olivier, anthropologue français, qui fait une thèse sur le mode de vie… des Indiens ! Il a appris leur dialecte et passe régulièrement plusieurs semaines avec eux, pour nourrir son étude. Puis, il repart faire des recherches plus théoriques à Caracas ou s’envole à Cambridge où est dirigée son PHD. Il nous a dit que les communautés d’Indiens de l’Est sont plus éloignées et restent plus traditionnelles… et peut-être plus heureux…

Pour nous faire notre propre idée, nous sommes donc partis pour une excursion de 3 jours en pirogue, organisée par Luis… le vigile de l’hôtel Amacuro. Voici pour notre équipe : José notre guide, aidé de son fils Dalui. Nous deux, à l’avant, installés sur un petit banc en bois… dur pour nos vieux os de rester ainsi assis une huitaine d’heures par jour !











On file donc sur l’eau et nous ralentissons chaque fois que l’œil de lynx de nos guides repère un animal ou une plante hors du commun. La diversité de la faune et de la flore est une vraie richesse ! En voici quelques images…





De petits singes qui poussent parfois d’énormes hurlements, on se demande ce qui leur arrive…



Elevage de buffles dont on tire le lait pour le fromage et la viande




Les dents des piranhas ne sont pas une légende, ils peuvent en une seconde vous sectionner un orteil ou la phalange d’un doigt, comme les requins, ils sont attirés par le sang




De très élégants ibis rouges (ou « corocoro »)




Un martin-pêcheur





Un essaim d’abeilles



Un tranquille dauphin d’eau douce…











La flore est aussi très intéressante… nous avons regretté de ne pas avoir eu l’occasion de marcher dans la jungle.

Au milieu du fleuve, des bancs entiers de « jacinthes d’eau » nous barrent la route. Leurs racines sont peu profondes, elles flottent donc, entraînées par le courant.




Certaines, comme celle de Nicolas est même fleurie !


Les Indiens mangent les fruits du palmier et utilisent les fibres pour tisser des hamacs (leurs lits !)











Une sacrée mangrove












Des rideaux de lianes







Les enfants, d'après vous, comment vivent les Indiens... au milieu de cette richesse biologique, parfois envahissante ?
Tout simplement dans des maisons en bois ouvertes sur l’extérieur, un hamac accroché entre deux piliers ou deux arbres… Jusqu’à il y a peu, les Indiens vivaient en quasi autarcie, se nourrissaient de ce qu’ils cultivaient ou chassaient. Sans contact avec la ville et souvent nomades, ils jetaient leurs déchets dans le fleuve, ce qui n’avait pas d’effet nocif sur l’environnement, car tout était biodégradable ! Les Indiens sont rattrapés par les vices et le progrès proposé par nos sociétés modernes… Bien ou pas bien, est toujours un grand débat ! Les opinions sont aussi opposées que la personnalité du Président Chavez est controversée…

En effet, même au fin fond de l’Orénoque, on retrouve les effets concrets de la politique du gouvernement en faveur des « pauvres ». Certains disent qu’il s’agit d’une politique de saupoudrage, sans contrôle, et que certains chefs de villages Indiens sont devenus du jour au lendemain très riches (et achètent des magasins en ville), sans travailler et sans en faire profiter leur communauté.
Très concrètement aussi, des moteurs Yamaha de 40 à 100 chevaux (!) ont été distribués par le gouvernement aux familles d’Indiens, ainsi que des machines à laver le linge, des télévisions (avec lecteur de DVD et DVD !), la fourniture d’électricité… et des grands réservoirs pour récupérer les eaux de pluie, marqués du sceau « Chavez » ! Comme rien n’est jamais gratuit, on nous a vite dit que c’était une bonne manière d’acheter les votes des ethnies indiennes qui restent nombreuses… Il est vrai que nous avons vu de nombreux panneaux représentants Chavez photographié avec le maire de la ville la plus proche, ou même un chef de village Indien… bonne publicité, pour ne pas dire propagande.

Machines à laver et télévisions sur pilotis... le choc des cultures !


Les enfants, ce sont des écoles !










Des flots de pirogues se croisent à grande vitesse !


















Le nom de Chavez apparaît un peu partout...


Pour vivre proche du mode traditionnel de vie des Indiens, on a pêché. Le 1er jour José et Dalui ont attrapé… des piranhas ! Rien au bout du fil de nylon de Sév, piranha… bof… faut pas se louper quand on retire l’hameçon ! Le lendemain, 4 gros poissons-chat, et plutôt maousse costauds, dans la besace de Séverine… qui n’était pas peu fière ! Plus rigolo à pêcher qu’à manger, ces poissons sont bourrés d’arrêtes ! (Remarque : la pêche, c’est pas assez speed pour Nico, il aurait préféré aller faire un 100 m nage aux milieux des piranhas !).



















Nous avons dormi 2 nuits dans un village d’Indiens, du joli nom de Lancerra de Wakahara, regrettant cependant de ne pas parler leur dialecte, ni notre guide. Nous y avons rencontré un missionnaire américain de l’Eglise Méthodiste (protestante), présent dans le village depuis 2 ans, pour les évangéliser. Il était d’ailleurs très étonné de voir arriver des « gringos » (étrangers) car il n’avait jamais vu débarquer de touristes dans cette communauté. Travaillant depuis 20 ans dans la région de l’Orénoque, il avait du recul et beaucoup de lucidité sur les grands changements en cours pour ces communautés… Nos échanges ont été très instructifs. Selon lui, l’arrivée de la TV est une calamité car les familles sont scotchées toute la journée devant des séries américaines… pour lui, le glas sonne pour leur culture proche de la nature et dépouillée de nombreux biens matériels, dont ils n’avaient jusque là pas le besoin. C’est un nouveau mode de vie qui commence… par exemple, concernant leur alimentation : les gros moteurs Yamaha leur permettent de se ravitailler plus facilement… en coca-cola, chips, etc… et tous les emballages plastique se retrouvent dans le fleuve, car les poubelles, ils ne connaissent pas ! Le missionnaire reconnaissait cependant les améliorations pour la santé des Indiens : ils peuvent aller se faire soigner en pirogue motorisée, les enfants prennent des médicaments contre les parasites, la récupération d’eaux de pluie permet une meilleure hygiène et quelques écoles ont été bâties pour scolariser les enfants (mais les instituteurs sont souvent absents !). Olivier nous a dit que le taux de mortalité infantile était encore de 50% dans la région Est… et c’est pourquoi les parents ne donnaient pas de prénom à leurs enfants avant l’âge de 3 ans, pour faire leur deuil plus facilement en cas de décès… rude. Charbel nous disait, quant à lui, que Chavez avait beaucoup fait pour le droit des Indiens qui pouvaient être exploités par les citadins.


Ca, c'est notre chambre, vous aimez, les enfants ?





Ici, la cuisine











Et comment les Indiens vivent-ils tous ces changements ? Dans le village qui nous accueillait, on sent un écart se creuser entre les générations… les jeunes adolescents sont attirés par la modernité, ce qui semble normal : chaîne au coup, montre au bras (qu’ils ne savent pas forcément lire), belles baskets, etc. La chef du village, assez âgée, est une femme de caractère et travaille beaucoup (elle fait des hamacs !). Elle semble très respectée et sur elle repose un certain équilibre. Les membres de sa communauté paraissent heureux !
Le missionnaire nous disait que certains autres villages alentour étaient plus perturbés par ce choc des cultures et sombraient dans l’alcool… il a même du quitter ces villages où il n’était pas entendu.
Au centre, la Chef du village, dont la sagesse est très écoutée





Une antenne télé, de nombreux détritus au bord de l'eau, des signes de la société moderne







Nous avons vu défiler devant notre pirogue un grand nombre d’habitations d’Indiens, et cela jusqu’à Pedernales, où eau sâlée et eau douce se mêlent, proche de la mer. Dans cette ville, cohabitent moitié Indiens, moitié Vénéz’ d’origine espagnole… dont une grande partie travaille dans la raffinerie de pétrole, située en face.


A Pedernales, on recycle les canettes de bière



En face du village, une raffinerie de pétrole, au loin, la mer




Personne ne peut dire si les Indiens seront plus heureux dans ce monde de demain… En attendant, les enfants du village de Lancerra de Wakahara semblent tout simplement beaucoup s’amuser dans leur petite pirogue de bois, qu'ils magnent avec beaucoup de talent !