La vie des Cubains (mai 2008)

Quelques chiffres :
Taux d’alphabétisation des adultes : 97%
Espérance de vie : 75 ans pour les hommes, 79 pour les femmes
1 médecin pour 170 patients
1ère transplantation cardiaque : 1985

La vie à Cuba ? Bienvenue au Royaume du système D !
La vie dans le Cuba d’aujourd’hui est un mélange paradoxal d’un peuple éduqué et compétent, de difficultés économiques et de flegme inébranlable.
Que de temps et d’énergie « perdus » quand les Cubains s’alignent et attendant leur tour à la porte des magasins, font la queue pour trouver une place à la cafétéria, patientent des heures parfois sous le cagnard et les bords d’autoroutes, dans l’espoir d’être pris en stop dans une voiture, un bus ou un camion. Là-bas, le co-voiturage est dirigé par un fonctionnaire habillé d’une chemise jaune, qui utilise le vieux système de numérotation pour organiser les files d’attente. Les voitures d’Etat, reconnaissables à leur plaque d’immatriculation bleue, sont dans l’obligation de s’arrêter pour prendre des auto-stoppeurs.







En dernier ressort, le camion, qui ne transporte pas du bétail mais des hommes et des femmes…












Sur les routes de province, les bus sont bombés, de nombreux Cubains se déplacent à pied, à vélo ou… dans des calèches ! « Le temps semble s’être arrêté »…. Et comme le dit une métaphore Cubaine, « Le pays avance en regardant uniquement dans le rétroviseur ». C’est un peu comme si rien n’avait changé depuis 50 ans…

Ce jour-là, pas de galère dans les transports… pour les mariés !





Un taxi-bicyclette, les side-cars sont aussi très en vogue !












On nous a dit qu’aucun Cubain n’avait faim. Ils sont quasiment tous employés par l’Etat, souvent à des postes qu’ils n’ont pas choisi et inférieur à leur niveau de compétence. Le logement, l’eau, l’électricité et l’alimentation (au travers d’un carnet de rationnement), la santé, l’éducation et la culture sont pris en charge par l’Etat. Ils ne payent pas d’impôts. Les salaires sont bas et leur permettent de s’acheter des vêtements, un complément de nourriture et tout autre produit de base de la vie courante (shampoing, savon, etc.).
Les enfants, comme en France, l’école est gratuite et obligatoire pour tous ! Voici une école… et un bus scolaire… canadien !

Des fonctionnaires chargés « d’animer » les rues


Dans la cour d’école, un buste de José Marti ; sur le bus « écoliers » est écrit en français (cliquez sur la photo !) !











Le système a ses limites : les logements gratuits sont petits et parfois insalubres, on est horrifiés par l’insécurité de certaines installations électriques, la viande est un produit de luxe et pour beaucoup inaccessible, ainsi que tout simplement le papier toilette qui coûte trop cher (ils utilisent donc du papier journal). Les locaux qui accueillent écoliers ou universitaires sont souvent dans un état dégradé et manquent de moyens : pas assez de livres pour étudier, manque de papier, matériel cassé et non remplacé, etc. Quand aux nombreux médecins formés à Cuba, ils doivent exercer avec la frustration de ne disposer que de très peu de médicaments… Quand un bateau mexicain arrive rempli de médicaments, c’est la fête ! Et le Mexique est immédiatement sanctionné dans ses échanges commerciaux avec les USA.
Bref, si vous voyagez à Cuba, vous ferez toujours plaisir en offrant savons et stylos, et en donnant à un médecin ou un hôpital un trop-plein de médicaments que vous auriez chez vous (ou dans la grande armoire à pharmacie des voileux !).



L’embargo des Etats-Unis (et de 2 autres pays qu’on oublie souvent : Israël et les îles Marshall… îles bien connues du Pacifique !) renforce un sentiment de fierté nationale plus qu’elle n’engendre une volonté de « révolte » contre le régime actuel, malgré les difficultés matérielles au quotidien. On a du mal à le comprendre, nous Français toujours en grève, à l’Histoire mouvementée, faite de révoltes répétées du peuple contre la monarchie et les classes sociales très enrichies… La lutte visait la misère et de fortes inégalités sociales.
C’est peut-être bien là la différence avec la situation Cubaine : depuis 50 ans au pouvoir, Fidel Castro n’en a pas profité pour développer sa propre richesse et celle des siens, contrairement à de nombreux dictateurs (Hugo Chavez est très critiqué pour cela dans le pays, on lui reproche son haut niveau de vie et le placement de nombreuses devises « d’origine pétrolières » dans des banques suisses…). La famille Castro vit relativement « simplement » et selon ses convictions. La société Cubaine est « égalitaire », c’est un des acquis de la Révolution castriste. Pourquoi pas, s’il s’agit de « tirer tout le monde vers le haut »…


Un Cubain bricole pour ses enfants une trottinette, grâce à une planche et quelques clous




Les deux hommes négocient le prix… du bout de plastique


En pratique, ouvriers et directeurs de coopératives sont « égaux » devant les galères matérielles quotidiennes. La recette est la « débrouillardise » et le bricolage de génie. Sous le capot d’une voiture américaine Plymouth de 1951, vous pourrez y découvrir un générateur russe, une batterie mexicaine et des pistons empruntés à un camion soviétique. Dans les années 90s, le gouvernement Cubain a acquis 1,2 millions de vélos à la Chine, pour contrer une crise majeure des transports. Ils furent rapidement démontés car trop lourds et rendus plus légers. Ils sont encore aujourd’hui largement utilisés alors que la circulation de bus est toujours insuffisante.




Suite à la chute du communisme dans les pays d’Europe de l’Est en 1989, les échanges commerciaux et aides soviétiques disparaissent soudainement (plus de 5 milliards de dollars par an !). L’économie était alors fondée sur la mono-culture du sucre de canne, acheté à un prix plus élevé que le cours mondial, par l’ex-URSS. Cuba connaît alors un dépression économique sans précédent, il n’y a plus d’argent qui rentre dans les caisses de l’Etat... A compter d’août 1990, Fidel Castro annonce un programme d’austérité de 5 ans, « el periodo especial en tiempos de paz » (« la période d’exception en temps de paix »). Des coupures d’électricité sont organisées et se procurer de la nourriture devient un vrai défi quotidien. Yvan nous a brièvement racontés ces 5 années terribles, « cachées » au reste du monde. Comme un grand nombre de ses co-citoyens, il mangeait de la serpillière bouillie ou des pelures de fruits mélangées à du riz. Quelques émeutes localisées ont eu lieu à cette époque à la Havane. Les Cubains ont été très marqués par « el periodo especial ».
Depuis, le gouvernement a développé ses échanges commerciaux avec l’Inde, la Chine et les pays latino-américains de gauche (Vénézuela, Bolivie).

Le « castrisme », c’est aussi une génération de Cubains hautement qualifiés « sacrifiée ». Médecins, scientifiques et universitaires ont la particularité de ne pas avoir le droit d’émigrer et leurs possibilités de voyager à l’étranger sont quasi-nulles. Ils n’ont d’ailleurs pas de passeport… Le manque de médicaments pour les uns, de moyens et d’échanges avec l’extérieur pour les autres atteint nettement la motivation et la qualité de l’enseignement. Ils voyagent à travers les films et les livres… Le suicide dans ces milieux est une réalité et un sujet tabou. Xavier nous dit que le système médical et éducatif qui avait de grands mérites, s’ébranle petit à petit, faute d’investissements financiers.


On ne sent pas de présence policière tangible mais le régime a bien en main tous les moyens de communication et d’information : les journaux nationaux et régionaux sont sous contrôle et laissent peu de latitude à la critique ; la télévision comprend 3 chaînes nationales avec des programmes cubains à 80%. Pas le droit à l’antenne satellite pour capter des chaînes étrangères ! Les Cubains ont accès depuis peu à Internet… à un prix prohibitif pour eux ! L’Etat développe cependant un service pour l’utilisation de courriers électroniques, à un coût accessible à tous.

Le modèle de « société égalitaire » trouve aussi quelques failles : avec le développement du tourisme et l’introduction d’une monnaie parallèle pour les étrangers, une certaine frange de la population gagne en une journée son salaire mensuel ! Médecins et professeurs d’université gagnent moins qu’un « garçon d’étage » ou qu’un chauffeur de taxi d’un grand hôtel, recevant des pourboires. Leur salaire moyen est de 16 € / mois.
L’envoi d’argent par des Cubains émigrés aux USA à leur famille commence aussi à créer des inégalités et des tensions.

Et non, il y a erreur, celui-ci n’est pas Cubain !





Fidel Castro, à plus de 80 ans, a légué 50 ans de pouvoir à son frère cadet Raul, connu pour être très pragmatique… et rien n’a changé ! Xavier nous parle de l’après Castro, comme d’une « Révolution » dont on aurait enlevé le « R »… une « Evolution » donc vers plus d’ouverture et la remise en question d’un système autoritaire, hyper-réglementé et annihilant toute initiative individuelle. Espérons que la transition sera douce…

Les Cubains ne semblent pas malheureux mais le désir de changement et d’ouverture est bien là. Reste à trouver l’opportunité de sa concrétisation ! C’est tout ce que nous pouvons souhaiter à ce peuple souriant, instruit, futé et chaleureux… qui trouve une de ses joies dans la musique et la danse… et ils sont très doués !






Et voici pour finir un petit air de « son », musique populaire cubaine née au XIXème siècle. Connue dans le monde entier grâce au disque et film Buena Vista Social Club. Dans les années 60s et 70s, le « son » mêlé à d’autres rythmes latins créa la salsa.
Il s’agit de l’extrait d’une chanson d’un grand poète Cubain, Juan Cristobal Fajardo dit El Cucalambé. Les paroles du « son » Cubain sont constituées de strophes de 10 vers.

Cuba, delicioso edén
Cuba, délicieux Eden
Perfumado por tus flores
Que tes fleurs parfument
Quién no ha visto tus primores
Qui n’a vu tes beautés
Ni nio luz ni gozo bien.
N’a jamais vu la lumière ni goûté la bonté.